Présentation
Vachik (Kolyai) Torosyan, né en 1965 à Byurakan, est l’un des principaux artisans de l’ancienne génération spécialisés dans la fabrication d’instruments à vent, mais également à cordes. Il est notamment reconnu pour la conception de Zurnas, qu’il signe du sigle « KT », en hommage à son père, lui-même luthier, Kolya Torosyan. Bien qu’aujourd’hui moins actif sur la scène artisanale, il continue à produire des instruments à vent tels que le Duduk et la Zurna, perpétuant un savoir-faire hérité et profondément enraciné dans la tradition musicale arménienne.
La Musique dans la vie de Karen Mukayelyan
Karen Mukayelyan a grandi dans un environnement où la musique occupait une place sincère et symbolique. Dès son plus jeune âge, il développe une sensibilité particulière au son et à l’expression musicale. Dans sa famille, la musique se transmettait avec simplicité. Son grand-père jouait du violon posé sur le genou, une posture peu conventionnelle mais encore pratiquée dans certaines régions rurales du Caucase. D’autres membres de sa famille chantaient régulièrement des chants folkloriques, traditionnels, populaires ou religieux.
S’il n’a jamais suivi d’enseignement formel dans une école de musique ou un conservatoire, une rencontre va pourtant marquer un tournant décisif dans la vie de Karen Mukayelyan : celle d’Armand Ghazaryan. Musicien accompli, pédagogue passionné et luthier spécialisé dans les instruments à cordes, Armand lui ouvre les portes d’un univers nouveau. C’est à ses côtés que Karen découvre le Shvi et fait ses premiers pas dans la pratique musicale. Mais Armand lui transmet bien plus que la technique : il lui enseigne l’importance de la justesse, le respect des codes musicaux, et la précision dans l’exécution. C’est également lui qui l’initie à l’art de la facture instrumentale. Il lui apprend à manier les outils, à comprendre et differenciers les differents bois, à écouter les vibrations et à accorder avec finesse, posant ainsi les premières pierres d’un savoir-faire qui ne cessera de s’enrichir au fil du temps.
Cette relation, fondée sur l’amitié et la transmission intergénérationnelle, marque le véritable point de départ de l’engagement de Karen, à la fois dans la musique et dans la l'artisanat musical.
En 2001, il commence à concecoir ses premiers instruments à vent, en y apposant dès le départ sa signature et son logo qui evolueara avec le temps. Curieux, rigoureux, et guidé par le sens du détail, il affine progressivement sa technique et développe une approche personnelle, sensible et exigeante.
Aujourd’hui, il est reconnu comme l’un des artisans les plus respectés et actif dans le domaine. Ses instrument, gravés "MKS", sont devenues une référence pour les musiciens, professionnels comme amateurs, en quête de précision, de stabilité et de caractère sonore.
Sa premiere approche avec la conception d'instruments
Karen Mukayelyan n’était pas destiné, au départ, à devenir facteur d’instruments à vent. Aucun membre de sa famille proche n’était luthier, et il ne bénéficiait d’aucun héritage artisanal direct.
C’est sa rencontre avec Armand Ghazaryan qui marque un véritable tournant. En plus d’être musicien, Arman concevait et restaurait des tars et autres instruments à cordes. À ses côtés, Karen découvre l’univers de la lutherie : il apprend à manier les tours, les perceuses, les outils de précision, et acquiert peu à peu les bases techniques indispensables à la fabrication d’un instrument.
Karen ne cesse de le rappeler : cette rencontre a changé sa vie. Armand a entretenu avec lui une relation profondément personnelle, n’hésitant jamais à le conseiller, le corriger ou l’orienter dans ses recherches. Une posture d’ouverture rare dans le milieu artisanal, où la transmission reste parfois verrouillée, tant les secrets de fabrication sont jalousement gardés.
Bien qu’attaché à la musique, à l’artisanat et plus largement à la culture arménienne, Karen doit composer avec les réalités économiques de l’époque. L’Arménie fraîchement indépendante reste marquée par soixante-dix ans de régime soviétique, où les métiers manuels sont orientés vers des spécialités pratiques et accessibles : mécanique, menuiserie, serrurerie ou encore cordonnerie. C’est dans ces domaines que Karen exercera tout au long de sa vingtaine, reléguant la fabrication d’instruments à une passion parallèle.
Mais après plusieurs expériences professionnel, en Arménie comme en Russie, il réalise que rien ne pourra le détourner de sa culture, de son pays, ni de la musique. Pour lui, la musique n’est pas seulement une pratique artistique ou identitaire : c’est un langage universel, inscrit dans la matière même du monde. Les sons, dit-il, existaient avant l’homme. Ce dernier n’a fait que les organiser.
Animé par cette vision, il décide de revenir définitivement en Arménie pour se consacrer pleinement à l’étude et à la fabrication des instruments à vent traditionnels. Son premier instrument sera naturellement un Shvi, celui-là même qu’il avait appris à maîtriser aux côtés d’Armand, et qui marquera le point de départ de son aventure artisanale.
C’est également à cette période que Karen Mukayelyan saisit un tournant historique : le départ à la retraite du légendaire luthier Karlen Matevosyan, installé aux États-Unis. De nombreux musiciens arméniens se retrouvent alors sans artisan de référence. Ayant longuement étudié ses instruments, et l’ayant rencontré à plusieurs reprises, Karen s’inspire profondément de son travail. Grâce à une grande rigueur et un sens aigu du détail, il parvient à se rapprocher des qualités sonores des instruments de Karlen. Peu à peu, les musiciens habitués à jouer sur les Duduks de ce dernier se tournent vers ceux de Karen Mukayelyan, reconnaissant dans ses instruments une continuité fidèle à cet héritage d’excellence.
Philosophie de conception
Luthier autodidacte, Karen Mukayelyan a développé au fil des années sa propre philosophie de la facture instrumentale. C’est en observant, en démontant et en étudiant avec minutie les instruments des maîtres qui l’ont précédé qu’il a patiemment affiné son savoir-faire. Aujourd’hui, musiciens et passionnés de Duduk le reconnaissent unanimement comme un maître artisan dans la conception d’instruments à vent arméniens.
Karen fabrique l’immense majorité de ses instruments en bois d’abricotier, essence emblématique du Duduk. Bien qu’il ait expérimenté d’autres bois fruitiers (poirier, pommier, prunier) ainsi que des essences exotiques comme l’ébène, le cocobolo ou le kingwood brésilien, il revient toujours à l’abricotier. Selon lui, ses propriétés acoustiques, sa densité et sa stabilité en font le matériau le plus adapté à l’expression du Duduk armenien.
Mais au-delà du choix de la matière première, ce que Karen Mukayelyan recherche avant tout, c’est la profondeur sonore. Là où certains fabricants privilégient l’apparence extérieure de l’instrument ou s’attachent à utiliser des bois toujours plus denses et lourds, Karen concentre son attention sur l’essentiel : la résonance, la justesse, la richesse des harmoniques et la facilité de jeu. C’est cette exigence constante, portée par une écoute attentive du son, qui explique pourquoi de nombreux musiciens professionnels choisissent ses instruments.
Pour Karen, un bon Duduk est un instrument vivant, dont le son est riche, ample et expressif. Il doit se laisser guider naturellement sous les doigts du musicien, sans résistance, sans effort, avec plaisir.
Variantes et pluralité
Grâce à son expérience et à des années de pratique minutieuse, Karen Mukayelyan maîtrise aujourd’hui l’art exigeant de la fabrication d’une large gamme d’instruments. En plus des duduks traditionnels, il s’est spécialisé dans la conception de nombreuses variantes : duduks réglables, duduks basses, accordés en 432 Hz, chromatiques, ou encore fabriqués à partir de bois exotiques, bien plus complexes à travailler en raison de leur densité et de leur structure.
Mais son savoir-faire ne s’arrête pas au duduk. Karen conçoit également des Shvis, Bluls et Pku, chacun décliné dans des variantes précises, tant sur le plan structurel qu’au niveau des tonalités, avec la même exigence de justesse, de finition et de qualité acoustique.
Cette capacité à concevoir des instruments aussi variés, sans jamais compromettre la qualité, est le fruit d’une longue expérience, mais surtout d’une profonde détermination à répondre aux attentes des musiciens, même lorsqu’elles sont techniques, atypiques ou inédites.
Karen puise une réelle inspiration dans les échanges avec les musiciens : leurs idées, leurs demandes particulières, leurs projets audacieux le poussent à innover constamment. Ces dialogues donnent naissance à des instruments uniques, sur mesure, où l’excellence devient un terrain commun entre l’artisan et l’artiste.
Inventions et améliorations d'instruments par Karen Mukayelyan
Avec plus de 25 ans d’expérience, Karen Mukayelyan n’a pas seulement perfectionné l’art de la fabrication traditionnelle : il a également pris le temps d’améliorer, voire d’inventer de nouveaux instruments, en réponse aux besoins spécifiques des musiciens, notamment ceux se produisant sur scène dans des contextes modernes et internationaux.
Invention - Duduk Chrommatique
En 2008, Parmi ses créations les plus notables figure le duduk chromatique, conçu spécialement pour le multi-instrumentiste Pedro Eustache, membre de l’orchestre de Hans Zimmer. Inspiré du fonctionnement de nombreuses flûtes européennes, le duduk chromatique facilite l’exécution des demi-tons. Contrairement au duduk traditionnel, où l’obtention des demi-tons exige précision dans le placement des doigts, ce modèle intègre des perces supplémentaires qui rendent ces notes plus accessibles.
Bien que Karen lui-même, ainsi que de nombreux musiciens arméniens, n'utilisent pas ce type de duduk, qu'ils jugent moins riche en termes de sonorité, cette innovation répondait à un besoin précis. Pedro Eustache, qui n’était pas joueur de duduk à plein temps, recherchait une solution pratique lui permettant d’intégrer le duduk dans ses performances sans devoir maîtriser la complexité technique des demi-tons. Karen a su écouter et apporter une réponse adaptée.
Invention - Duduk Reglable
En 2010, sous les conseils et demande du musicien Ashot Khandgeldyan, Karen met au point le duduk réglable. Cette invention répond à une problématique fréquente : l’instabilité de l’accord du duduk et de son anche lors des représentations en public. L’humidité et les variations climatiques peuvent en effet faire légèrement monter la tonalité de l’instrument. Grâce à une embouchure ajustable, le musicien peut allonger la longueur totale du duduk en temps réel, permettant ainsi de baisser la tonalité et de retrouver une justesse parfaite.
Cette innovation a ensuite ouvert la voie à d'autres variantes, notamment des duduks équipés de plusieurs têtes interchangeables. Cette modularité permet de passer facilement d’un instrument accordé en 440 Hz à un autre en 432 Hz, ou à d’autres tonalités encore.
La particularité des duduks réglables de Karen Mukayelyan réside dans le choix de renforts en fil, plutôt qu’en anneaux métalliques, pour assurer la stabilité de la tête amovible dans le temps. Contrairement aux anneaux métalliques, rigides et fixes, les renforts en fil offrent une certaine élasticité. Cette souplesse permet au bois de se dilater ou de se contracter naturellement sans subir de contraintes excessives. Selon Karen, cette approche plus organique prolonge la durée de vie de l’instrument tout en assurant une meilleure étanchéité et une fixation fiable de la tête.
Invention d'un instrument hybride inspiré du Shvi, du Blul et de la flûte traversière
Parmi les créations les plus originales de Karen Mukayelyan figure un instrument hybride qu’il n’a pas officiellement nommé, mais qui suscite l’intérêt croissant des musiciens. Il se distingue par sa posture de jeu horizontale, similaire à celle d’une flûte traversière, une prise en main inhabituelle dans l’univers des instruments arméniens, généralement joués à la verticale ou légèrement inclinés.
Le son est produit selon le même principe que celui du shvi, grâce à un sifflet intégré à l’embouchure, tandis que le doigté s’inspire d’un blul chromatique. Cette combinaison permet d’atteindre deux octaves et une tierce, offrant à l’instrument une plage sonore étendue et une richesse tonale remarquable.
La posture particulière qu’il impose nécessite une certaine expérience des instruments joués horizontalement, ce qui le destine plutôt à des musiciens familiers de ce type de gestuelle. Mais pour ceux qui s’y aventurent, il ouvre des perspectives nouvelles, mêlant sonorités traditionnelles et possibilités techniques inédites.
Invention du Shvi multiple (à deux tubes)
Amélioration sur le Shvi
Bien que le Shvi soit déjà un instrument établi et largement diffusé parmi les musiciens arméniens, notamment grâce au travail de l'artisans Ruben Rushinyan, Karen Mukayelyan a conçu de nombreuses variantes dans le but de l’améliorer. Il a notamment cherché à développer des Shvis plus graves, tout en conservant une précision et une justesse irréprochables.
Instrument de prédilection de Karen, le Shvi occupe une place particulière dans son parcours. Il a toujours pris plaisir à en concevoir, à expérimenter, à affiner chaque modèle. L'intérêt et l’utilisation de ses instruments par des musiciens tels que Levon Tevanyan, Helbert Asatryan ou encore Eners Manukyan l’ont profondément encouragé à élargir les possibilités de création et à explorer de nouvelles variantes acoustiques et techniques.
Amelioration sur le Blul
Depuis l’ajout d’une huitième perce par Norayr Kartashyan dans les années 1990, le blul a progressivement gagné en reconnaissance, notamment auprès des chefs d’orchestre et compositeurs. L’instrument, longtemps resté dans l’ombre du Duduk ou du Shvi, a commencé à être pris au sérieux dans des contextes professionnels. Cette évolution a naturellement conduit à un besoin accru de précision, de stabilité et d’adaptabilité dans sa fabrication.
C’est dans ce contexte que Karen Mukayelyan a entrepris de perfectionner ses Bluls, en développant une série de variantes techniques et acoustiques. Il propose aujourd’hui des Bluls accordés dans des tonalités rares, autrefois peu utilisées, mais désormais recherchées. Il a également conçu des Bluls à tête amovible, permettant de modifier ou ajuster la tonalité, voire de remplacer facilement la tête en cas d'usure ou de fisure dans le temps.
D’autres modèles encore vont plus loin dans l’accessibilité et l’innovation :
- Bluls avec embouchure de shvi, qui permettent de produire le son via un sifflet intégré plutôt que par une embouchure libre (comme sur le kaval), souvent difficile à maîtriser.
- Bluls avec doigté de Shvi (diatonique), facilitant grandement l’apprentissage pour les musiciens déjà familiers du Shvi ou du Duduk, en évitant le doigté chromatique traditionnel du Blul.
Ces innovations traduisent la volonté de Karen d’ouvrir l’instrument à un plus large public, tout en respectant ses caractéristiques sonores profondes. Le Blul, autrefois confidentiel et vu comme un instrument de berger, trouve ainsi une nouvelle place dans le paysage musical arménien.
Amelioration sur Pku
Sans chercher à transformer profondément l’instrument, Karen Mukayelyan a concentré son travail sur le développement de Pkus dans des tonalités peu communes dans les aigus, telles que le La (à six doigts) ou le Si♭ (à six doigts), des registres difficiles à stabiliser tant au niveau de l’accord que du timbre.
Traditionnellement fabriqué dans des tonalités graves, le Pku est un instrument dont les versions basses ont toujours été plus commune à concevoir et à maîtriser. En revanche, les tonalités aiguës, plus rares et techniquement exigeantes, ont longtemps été négligées.
Artistes et musiciens utlisant les instruments de Karen Mukayelyan
Fort de plus de 25 ans d’expérience, Karen Mukayelyan s’est imposé comme l’un des maîtres artisans les plus respectés et actif dans la fabrication de Duduks et d’instruments traditionnels arméniens. Son savoir-faire d’exception a séduit de nombreux musiciens prestigieux, à commencer par Gevorg Dabaghyan, ainsi que ses élèves Emmanuel Hovhannisyan, Harutyun Chkolyan, Norayr Gapoyan et Arsen Petrosyan.
Ses instruments accompagnent également, au quotidien, des maîtres reconnus tels que Kamo Seyranyan, Norayr Kartashyan, Loris Nikoghosyan, Vahan Harutunyan, Ashot Khangeldyan, Gevorg Karapetyan, Avag Margaryan (Blul) et Vahan Zakaryan, ainsi que de nombreux artistes actifs comme Anna Mkhitaryan, Edward Manucharyan, Anna Hovanyan (Blul), Narek Khazandyan, Tatul Hambardzumyan et Gabriel Shahinyan.
À l’international, des musiciens de renom tels que Pedro Eustache, Sylvain Barou, Levon Minsyan, Artyom Minasyan, Rostom Khachikian, Levon Khozian ou encore Tigran Karapetyan font également confiance à ses instruments, qu’ils utilisent aussi bien sur scène qu’en studio.
Distinction officielle et statut
Distinctions
En 2023, à l’initiative du célèbre joueur de duduk Levon Tevanyan, une candidature a été déposée auprès du Ministère de la Culture d’Arménie pour l’attribution du titre honorifique de « Maître du Peuple » à Karen Mukayelyan. Cette prestigieuse distinction est traditionnellement décernée aux artisans qui se distinguent dans des domaines emblématiques de l’artisanat arménien, tels que la tapisserie, l’orfèvrerie, la sculpture sur bois, la fabrication de khachkars ou encore la création d’instruments de musique.
Bien que Karen Mukayelyan n’ait jamais recherché de reconnaissance officielle, c’est grâce à l’initiative de Levon Tevanyan, Artiste honoré d’Arménie, désireux de faire connaître son travail et de lui rendre hommage, que cette distinction lui a été attribuée. Lors d’une intervention sur les ondes de la Radio publique arménienne, Karen déclarait avec humilité : « Je ne me voyais pas aller de moi-même au Ministère pour demander le titre de Maître du Peuple. Sans l’initiative de Levon Tevanyan, je ne l’aurais très certainement jamais obtenu. » (Armenian Public Radio, 2025)
Il devient ainsi l’un des tout premiers facteurs de Duduk à recevoir cette reconnaissance officielle, soulignant la qualité exceptionnelle de son travail et son apport essentiel à la culture arménienne.
Statut
Karen Mukayelyan demeure avant tout un artisan indépendant, fidèle à une approche profondément personnelle de son métier. Bien qu’il implique ses fils, Davit et Samvel, dans certaines étapes du processus de fabrication, il assure lui-même la réalisation des phases les plus délicates et exigeantes, notamment l’accordage et la finition des instruments.
Contrairement aux ateliers de production en série, où les tâches sont standardisées et réparties entre différents ouvriers, Karen tient à conserver une maîtrise complète de chaque création. Cette implication directe lui permet d’insuffler une âme unique à chacun de ses instruments, un caractère vivant, authentique, fidèle à son identité et à celle du musicien.
Dans le même esprit, Karen Mukayelyan refuse l’usage de machines CNC automatisées, qui permettent de standardiser des étapes comme le taillage et le perçage du bois. Pour lui, investir dans ce type d’équipement reviendrait à entrer dans une logique de production industrielle, plus rapide et optimisée, certes, mais éloignée de la relation intime qu’il entretient avec chaque instrument et chaque musicien. Il privilégie une méthode artisanale, plus lente mais rigoureuse, où chaque geste est maîtrisé et chaque détail pensé. C’est dans cette exigence manuelle que Karen puise la singularité et la sensibilité de ses instruments.
Concernant les anches de Duduk
Sujet aussi essentiel que la fabrication du corps du duduk lui-même, La Maison du Duduk a tenu à interroger Karen Mukayelyan sur l’importance de l’anche dans l’équilibre et la performance de l’instrument.
Quelle est, selon lui, l’importance de l’anche ?
Pour Karen Mukayelyan, l’anche joue un rôle fondamental. Il souligne que le corps et l’anche doivent être en parfaite harmonie pour répondre aux attentes du musicien. C’est pourquoi il entretient un dialogue constant avec plusieurs facteurs d’anches, afin de s’assurer que ses instruments restent compatibles avec leurs créations. Il insiste sur la nécessité d’une collaboration étroite entre fabricants de duduks et fabricants d’anches.
Quel conseil donnerait-il à un musicien souhaitant choisir une anche pour ses instruments ?
Karen recommande de se tourner vers des facteurs d’anches reconnus pour leur savoir-faire et leur exigence. Il cite notamment Aram, Sargis, Argishti et Hovo, avec qui il partage une vision commune de la précision et de la qualité.
Les Instruments selon Karen Mukayelyan
Le Duduk
Pour Karen Mukayelyan, le duduk est sans doute l’instrument qui incarne le plus profondément l’âme arménienne. Il exprime une profonde reconnaissance et une admiration sincère envers les musiciens et artisans qui, génération après génération, ont contribué à élever cet instrument au rang de symbole national, et même universel. Le duduk, avec ses sonorités graves, spirituelles et puissantes, touche au plus intime ceux qui l’écoutent. Karen en est pleinement conscient, et c’est avec cette responsabilité en tête qu’il met tout son savoir-faire et sa sensibilité au service de chaque instrument qu’il façonne.
Il souligne également que le duduk est un instrument profondément humain dans sa conception. Contrairement au shvi ou au blul, qui peuvent parfois se réduire à de simples tubes de bois ou même à des roseaux percés, le duduk requiert une intervention humaine bien plus marquée. Il ne peut exister sans son anche, une pièce à part entière, façonnée à la main, qui donne souffle et vie à l’instrument. À la fois fragile et complexe, cette anche rend le lien entre l’homme, l’artisan et le son indissociable. Pour Karen, cette dimension confère au Duduk une noblesse unique, qui le distingue au sein des instruments à vent arméniens.
Le Shvi
Bien que le shvi et ses variantes soient ses instruments de prédilection, Karen Mukayelyan aime rappeler que des instruments similaires existent dans de nombreuses cultures à travers le monde. De par leur structure et leur sonorité, les shvis arméniens peuvent, à première écoute, évoquer certaines flûtes à bec issues d’autres traditions. Pourtant, selon Karen, ce qui rend le shvi arménien véritablement unique, c’est son accordage spécifique et son timbre reconnaissable, clair, brillant et pur, profondément enracinés dans la tradition musicale arménienne.
Cette singularité s’explique aussi par l’utilisation du bois d’abricotier, matériau privilégié pour la fabrication du Shvi, qui lui confère une couleur sonore très appréciée par les musiciens locaux. L’accordage particulier du shvi arménien lui donne une identité propre et le distingue clairement des flûtes apparentées que l’on retrouve dans d’autres cultures.
Concernant le Blul (Sring)
Karen Mukayelyan conçoit également des bluls, également appelés sring, en se concentrant sur leur version spécifiquement arménienne, à ne pas confondre avec le kaval, le ney ou d’autres flûtes obliques des régions avoisinantes.
Dans les années 1990, le musicien Norayr Kartashyan a apporté une innovation majeure à cet instrument en y ajoutant une perce supplémentaire, permettant l’implication de l’auriculaire dans le jeu. Cette modification a grandement facilité l’exécution des pièces musicales tout en modernisant la pratique du blul.
Karen Mukayelyan exprime une profonde reconnaissance envers Norayr Kartashyan, avec qui il a collaboré pour affiner et perfectionner ses propres modèles. Il salue son travail remarquable dans la préservation et l’évolution du blul, qui a permis à cet instrument d’intégrer progressivement les orchestres et les établissements d’enseignement musical en Arménie.
Aujourd’hui, les bluls fabriqués par Karen sont largement utilisés par des musiciens professionnels comme par des étudiants. Leur qualité est unanimement reconnue, d’autant plus que la fabrication de cet instrument reste complexe et que les artisans capables de le produire avec précision sont rares.
Concernant le Pku
Le pku est un instrument apparenté au parkapzuk, la cornemuse arménienne. Comme le souligne Karen Mukayelyan dans l’une de ses prises de parole, le pku peut être considéré comme une version du parkapzuk dépourvue de son sac en peau animale. Si cette absence rend le jeu plus exigeant, le musicien devant maintenir un flux d’air constant, souvent grâce à la technique de la respiration circulaire — elle permet également une connexion plus directe avec l’instrument. Le contact immédiat des lèvres avec le bec et le roseau offre une expressivité particulière, notamment dans la production de vibratos et de nuances sonores plus fines.
Pour Karen, la conception du pku est particulièrement délicate s’il souhaite atteindre la qualité qu’il exige de ses autres instruments. Il en fabrique donc très peu, et uniquement sur commande spéciale, car garantir une justesse impeccable et une sonorité riche reste un véritable défi technique.
Transmission
Karen Mukayelyan transmet aujourd’hui son savoir-faire à ses deux fils, Davit et Samvel, eux-mêmes musiciens et passionnés par la fabrication d’instruments à vent. Il nourrit l’espoir de pouvoir un jour agrandir son atelier afin d’accueillir des apprentis et ainsi perpétuer cet héritage précieux. La transmission reste pour lui une mission essentielle : faire vivre ces instruments traditionnels et assurer leur avenir entre les mains des nouvelles générations.
Sources
Les informations présentées dans cet article de blog sont issues d’échanges directs avec Karen Mukayelyan. Afin de garantir la fiabilité du contenu, l’article a été relu et validé par Karen Mukayelyan lui-même, dans le but de vous transmettre les éléments les plus précis concernant sa biographie et son parcours.
Interviews, vidéos et ressources supplémentaires :
5 րոպե ԱՐՎԵՍՏ. Կարեն Մուքայելյան © Armenian Public TV