Misha Sadoev | M

Présentation

Misha (Konstantini) Sadoev, né en 1948 dans le village assyrien de Dimitrov, dans le marz d’Ararat, est un facteur arménien reconnu pour son expertise dans la fabrication d’instruments à vent traditionnels, en particulier le Duduk et la Zurna. Installé à Erevan depuis les années 1960, il s’est imposé comme l’un des artisans majeurs de sa génération. Spécialiste unanimement reconnu de la Zurna, domaine dans lequel il est aujourd’hui considéré comme la référence la plus respectée et la plus diffusée, il a marqué de son empreinte l’histoire récente de la facture instrumentale arménienne.

Misha Saodev © 

La Musique dans la vie de Misha Sadoev

Misha Sadoev a grandi dans un environnement profondément marqué par la musique. Son père, musicien accompli, était un maître du Dhol, qu’il jouait aussi bien avec les mains qu’avec des baguettes (Kopal-Dhol). Issu d’une fratrie de sept enfants, dont cinq garçons (Andranik, Misha, Alyosh, Grishya et Vasya) chacun s’est tourné vers un instrument différent : l’Oud, le Duduk, le Dhol, ou encore le chant, créant ainsi une atmosphère familiale où la musique occupait une place centrale.

Dans sa jeunesse, Misha commence lui-même par le Dhol, qu’il apprend à jouer dans son village natal. Il se produit régulièrement avec Harutyun Gevorgyan, un ami proche et clarinettiste talentueux, dont la famille était elle aussi liée à la musique. Ces premières expériences collectives forgent en lui une sensibilité musicale et un goût pour l’interprétation.

Peu après, Misha manifeste un intérêt croissant pour les instruments à vent. Il demande à son père de lui acheter une clarinette, et c’est à cette période qu’il commence également à s’initier aux instruments à vent dont le Duduk, d’abord en autodidacte.

Dans les années 1980, il poursuit des études au Teknicum d’Etchmiadzin, où il obtient son diplôme. À cette époque, circulaient de nombreuses rumeurs concernant une éventuelle chute de l’URSS. Les enseignants insistaient auprès des étudiants sur la nécessité d’obtenir une formation diplômante pour garantir une sécurité professionnelle dans l’avenir incertain qui s’annonçait.

Première approche avec la conception d'instruments 

C’est au cours des années 1970 que Misha Sadoev fait ses premiers pas dans la conception d’instruments à vent. Dans son village et dans les alentours, les fabricants d’anches, et plus largement d’instruments, étaient rares. Cette absence a poussé les jeunes musiciens à expérimenter eux-mêmes.

Misha se souvient notamment de son ami Mxchanci Khachik, dont le père, Tsolak, lui transmit les bases de la fabrication d’anches de Duduk. Par ailleurs, un ami de son père, joueur de Zurna, lui apprit les techniques spécifiques à la conception des anches de Zurna. Avec le temps, Misha se spécialisa dans ce domaine. Il raconte encore aujourd’hui, avec le sourire, cette phrase de l’ami de son père : « Dis à Misha de me fabriquer des anches de Zurna, il les fait mieux que moi désormais », un mot prononcé à la fois sur le ton de l’humour et de la fierté.

Ses premiers Duduks étaient taillés entièrement dans le roseau. Progressivement, il passa au bois d’abricotier, qu’il sculptait entièrement à la main, en utilisant des moyens rudimentaires tels que des arcs pour faire tourner le bois. Ces débuts artisanaux, encore rustiques, forgèrent son approche exigeante et patiente de la facture instrumentale.

Avec le temps, il poursuivit et affina son expertise dans l’atelier commun qu’il partageait avec son frère Andranik Sadoev, luthier expérimenté et spécialiste des instruments à cordes arméniens. Ensemble, ils constituèrent un foyer d’artisanat où se perpétuait et s’enrichissait la tradition musicale arménienne.

Misha Saodev et Andranik Sadoev © 

Philosophie de conception

Appartenant à une génération de luthiers qui a traversé à la fois le XXᵉ et le XXIᵉ siècle, Misha Sadoev a vu de près l’évolution des attentes des musiciens. À une époque où la facture instrumentale arménienne souffrait encore d’un manque de précision, il s’est fixé pour objectif de mettre au point des instruments justes, capables de répondre aux standards de la scène. Cet engagement est devenu la base de toute sa philosophie de conception.

Il raconte souvent que, dans ses premières années, l’un des plus grands défis consistait à obtenir un Duduk ou une Zurna correctement accordés. Beaucoup de facteurs de l’époque n’étaient pas eux-mêmes musiciens et ne disposaient pas des moyens nécessaires pour travailler avec la précision exigée. C’est en expérimentant sans relâche, en affinant ses méthodes et en écoutant attentivement les interprètes, que Misha est parvenu à résoudre ce problème récurrent et à forger sa réputation.

Son approche se distingue aussi par le rapport particulier qu’il entretient avec le bois. Là où la tendance actuelle privilégie des parois plus fines et des instruments plus légers, il a conservé une méthode héritée de ses débuts : garder une densité et une épaisseur plus marquées. Lorsqu’on prend en main un instrument de Misha Sadoev, on perçoit immédiatement cette présence physique, ce poids plus lourd qui reflète une volonté délibérée de préserver la profondeur sonore. Selon lui, cette densité donne au Duduk comme à la Zurna une richesse et une résonance qui ne peuvent être obtenues autrement. 

Apparition de Misha Sadoev dans une brochure d’un festival culturel au Japon ©

Variantes et pluralité

Fort de plusieurs décennies d’expérience et d’une pratique approfondie, Misha Sadoev s’est imposé comme luthier et facteur d’instruments à vent arméniens de tout premier plan. Sa maîtrise s’étend à l’ensemble des instruments de la tradition : le Duduk, la Zurna, le Pku, le Shvi ou encore le Blul. Il a eu l’occasion d’expérimenter et de perfectionner la création de chacun d’eux, en explorant leurs tonalités, leurs variantes et leurs exigences propres.

S’il est capable de fabriquer l’ensemble du répertoire d’instruments à vent arméniens, Misha Sadoev reste avant tout reconnu pour son expertise dans le Duduk et surtout dans la Zurna, dont il est considéré comme l’un des principaux artisans contemporains. Ses Zurnas se distinguent par leur justesse, la richesse de leur timbre et une sonorité particulièrement appréciée des musiciens depuis plus de vingt à trente ans. Cet accordage fiable et expressif en a fait une référence incontournable pour de nombreux interprètes.

La pluralité de son savoir-faire ne l’empêche pas de conserver une identité claire : celle d’un artisan qui a fait du Duduk et de la Zurna son domaine d’excellence. Pour Misha Sadoev, chaque instrument est une œuvre qui doit répondre à la fois aux exigences de la tradition et aux attentes des musiciens d’aujourd’hui, faisant de lui un acteur majeur, sinon le principal, de la facture de Zurna arménienne contemporaine.

Inventions et améliorations d'instruments par Misha Sadeov

Avec plus d’un demi-siècle d’expérience, Misha Sadoev a consacré sa vie à perfectionner l’art de la facture des instruments à vent arméniens. Artisan avant tout autodidacte, il s’est formé au fil de ses propres recherches, guidé par son exigence personnelle et les échanges ponctuels qu’il a pu avoir avec d’autres musiciens et artisans. C’est cette indépendance dans l’apprentissage qui lui a permis de développer une approche originale et d’apporter des améliorations durables à la tradition.

Amelioration - Embouchure du Zurna

L’embouchure des zurnas, autrefois, et encore aujourd’hui en Turquie, était conçue comme une pièce amovible. Appelée « Betcha », elle servait à la fois de support pour insérer le tube métallique dans l’instrument et à créer artificiellement un rétrécissement cylindrique à l’intérieur de la perce, indispensable pour faciliter l’émission des notes aiguës.

En collaboration avec Karlen Matevosyan, Misha Sadoev a travaillé à l’élaboration de Zurnas ne nécessitant plus cette pièce rapportée. Le rétrécissement, autrefois assuré par le betcha, est désormais directement creusé dans le corps de l’instrument.

Aujourd’hui, la majorité des Zurnas en circulation présentent ainsi un espace très réduit dans les aigus, façonné dès la fabrication par l’artisan lui-même, et non plus généré par l’ajout d’un betcha.

Creation - Zurna en Do (C)

Parmi ses contributions les plus marquantes figure la création de la Zurna en Do (C). Jusqu’alors, la Zurna était fabriquée presque exclusivement en Si (H), tonalité traditionnelle mais qui posait des contraintes dans un contexte musical en pleine évolution. Au cours du XXᵉ siècle, la clarinette s’est imposée comme un instrument central dans les orchestres et les fêtes populaires, notamment dans les mariages. Pour les musiciens, il devenait difficile d’intégrer une Zurna en Si (H) face à la prédominance des clarinettes, dont le répertoire se développait largement autour de la tonalité de Do (C).

C’est en observant cette réalité que Misha Sadoev a eu l’idée de concevoir une Zurna en Do (C), plus courte et mieux adaptée au jeu collectif avec la clarinette. Cette innovation répondait directement aux besoins des musiciens et permettait une intégration beaucoup plus naturelle entre les deux instruments, sans nécessiter de compromis ou de transpositions complexes.

En perfectionnant ce modèle et en le diffusant auprès de divers ensembles, Misha Sadoev a contribué à redéfinir la place de la Zurna dans la musique festive contemporaine. Sa Zurna en Do (C) demeure aujourd’hui encore une référence incontournable, considérée comme un instrument essentiel par de nombreux musiciens.

Zurnas, Duduks et Pku par conçus Misha Sadoev © 

Musiciens utilisant les instruments de Misha Sadoev

À l’époque où Misha Sadoev a commencé son activité, le nombre de luthiers capables de fabriquer des instruments à vent arméniens de qualité était très restreint. C’est cette rareté qui a conduit de nombreux musiciens à se tourner vers ses créations. Ses instruments ont ainsi accompagné plusieurs générations d’artistes, aussi bien des solistes que des membres d’ensembles.

Ses Zurnas, en particulier, sont devenues une véritable référence, reconnues pour leur justesse et leur puissance sonore. Au fil des décennies, elles ont été adoptées par un grand nombre de musiciens professionnels, parmi lesquels Kamo Seyranian, Artyom Minasyan, ainsi que bien d’autres interprètes évoluant aujourd’hui encore dans les milieux professionnels, sur scène comme en studio.

Misha Sadoev a également collaboré avec le maître incontesté du Duduk, Djivan Gasparyan. Pour répondre à ses besoins scéniques, il a conçu pour lui une Zurna en Sib (B), un instrument unique qui illustre à la fois son savoir-faire et sa capacité à s’adapter aux demandes très spécifiques des musiciens de renom.

La confiance renouvelée des artistes à travers les décennies témoigne de l’importance de Misha Sadoev dans la facture instrumentale arménienne et confirme son rôle central dans la diffusion et l’évolution de la Zurna.

Distinction officielle et statut 

Distinction

 Au cours de sa carrière, Misha Sadoev a reçu de nombreuses récompenses, aussi bien au niveau national que de la part d’instituts et d’académies spécialisées dans la musique et la facture instrumentale. Son savoir-faire a été reconnu à maintes reprises, saluant la qualité de ses instruments et sa contribution au patrimoine musical arménien.

Il a notamment reçu une médaille honorifique remise personnellement par Serzh Sargsyan, troisième président de la République d’Arménie, distinction qui souligne l’importance de son rôle dans la préservation et le développement des traditions musicales nationales.

Reconnu bien au-delà des frontières arméniennes, il a également été invité à de nombreux événements internationaux pour présenter son art et partager son expérience, confirmant ainsi sa place parmi les grands maîtres de la facture d’instruments à vent.

Misha Sadoev recevant une récompense pour ses travaux © 

Statut

Tout au long de sa carrière, Misha Sadoev est resté un artisan indépendant, attaché à une pratique artisanale authentique. Contrairement aux ateliers de production en série, où chaque étape est répartie entre plusieurs ouvriers, il a toujours revendiqué une maîtrise directe de ses instruments, depuis le choix du bois jusqu’aux dernières finitions.

Il a longtemps travaillé dans un atelier familial, aux côtés de son frère Andranik Sadoev, partageant ce même engagement pour une facture instrumentale exigeante. Ce statut d’indépendant lui a permis de préserver une liberté totale dans son approche, en restant fidèle à sa vision et à ses choix de conception.

Transmission

Misha Sadoev n’a pas formé d’élèves à titre personnel et n’a jamais cherché à constituer une école autour de son nom. Toutefois, son expérience et son savoir-faire ont été sollicités dans un cadre plus large : en 2022, lui et l’atelier de son frère ont participé à un programme initié par le Ministère de l’Éducation arménien, destiné à encourager les jeunes à se tourner vers les métiers d’artisanat.

Dans ce contexte, ils ont accueilli et accompagné de jeunes étudiants, leur transmettant les bases du travail du bois et de la facture instrumentale. Si Misha Sadoev ne revendique pas d'élèves directs, il a néanmoins contribué, par ce biais, à éveiller une nouvelle génération à l’univers des instruments traditionnels arméniens.

Rencontrez Misha Sadoev

Misha Sadoev travaille principalement dans l’atelier familial qu’il partage avec son frère Andranik, au 4 rue Hovsepian à Erevan. Cet espace, véritable témoin de l’histoire musicale locale, a accueilli au fil des années de nombreux artistes et moments marquants. 

Sources

Les informations présentées dans cet article de blog sont issues d’échanges directs avec Misha Sadoev. Afin de garantir la fiabilité du contenu, l’article a été relu et validé par Misha Sadoev lui-même, dans le but de vous transmettre les éléments les plus précis concernant sa biographie et son parcours.

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